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A la lecture d'un texte de Henri Michaux,
il m'est venu à l'esprit l'image d'une personne que j'ai
rencontrée il y a quelques années déjà.
C'était un comédien, un très bon comédien,
un de ceux que l'on rencontre rarement dans les théâtres
et très peu au cinéma, un vrai, un authentique.
La barbe hirsute, l'oeil perçant, sa chevelure noire
ressemblait à un ama de paille, il avait bien la cinquantaine.
Je l'ai rencontré par hasard au détour d'une rue
piétonne de Montpellier. Sa voix grave et raillée
glissait sur le sol mouillé au rythme d'une vieille guitare
qu'il tenait entre ses grosses mains. Je l'ai écouté,
puis je me suis approché, il semblait me bouffer des
yeux$ comme si j'avais été un public tout entier.
Mais ses chansons ne m'ont pas convaincu, je lui ai tout de
même donné une pièce et l'ai invité
à passer me voir au café-théâtre
que je tenais avec un ami. Il est venu le soir même, me
semble-t-il. Mais en rentrant dans la salle de restaurant son
attention futbeaucoup plus vite attirée par les étiquettes
des bouteilles
disposées au-dessus du comptoir
que par tout autre chose. Je le fis néanmoins descendre
dans la salle du bas qui faisait office de salle de spectacle.
Là il me déclara que les chansons qu'il chantait
dans la rue n'étaient pas son "truc". Il me
dévoila alors sa véritable personnalité.
Je suis comédien! Je lui demandais s'il connaissait quelque
chose par coeur. J'appris qu'il connaissait bien l'oeuvre de
Michaux. L'ayant invité à monter sur la petite
scène pour me faire une démonstration, il s'exécuta.
Dès les premières phrases qu'il lança,
j'eus le souffle coupé. Quelle puissance ! En plus de
sa diction impeccable, malgré quelques dents absentes,
il savait donner aux mots toute la force qu'ils contenaient
! Ses gestes étaient précis et d'égale
puissance. Il remplissait à lui seul tout l'espace de
la cave où nous étions. Tout disparut à
mes yeux, il ne restait que lui sur la scène. Jamais
une telle démonstration ne m'avait autant transpercé
et jamais depuis lors je n'ai senti une telle émotion.
Les mots sortaient de sa bouche comme des pierres. Ses bras
et gestes semblaient souffler comme un vent violent. Les textes
de Michaux semblaient avoir été gravés
au plus profond de cet être impressionnant qui vivait
là devant moi. Ses silences même étaient
forts et n'avaient pour effet que de suspendre une image ou
d'accentuer celle qui suivait. Quel spectacle ! Quel génie
! Mais aussi, malheureusement, quel ivrogne ! Quand nous
sommes remontés, en effet, au rez-de-chaussée,
il avait tout oublié et ne pensait plus qu'aux bouteilles
au-dessus du comptoir. Je lui ai offert à boire généreusement,
il m'a dit : "au revoir à demain" et je ne
l'ai plus jamais revu.
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